Extraits du journal sénégalais "Le Quotidien"
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GUINEE - Semblant de calme : Etat de siège et balles perdues
Mariama Ciré Touré ne s’attarde guère dans les rues de Conakry lorsqu’elle part faire ses courses.
Cette simple tâche quotidienne est devenue une aventure risquée pour les habitants de la capitale guinéenne. Il leur faut défier le couvre-feu en vigueur 18 heures par jour, les barrages militaires et les balles perdues pour tenter de ramener de la nourriture dans leurs foyers.
Les émeutes, la grève, la pénurie d’aliments et désormais l’état de siège, en vigueur depuis lundi, ont transformé une vie quotidienne déjà difficile en lutte pour la survie dans les «hautes banlieues» de Conakry, quartiers miséreux de la capitale guinéenne et bastions de l’opposition au Président Lansana Conté.
«Malgré le couvre-feu, je me lève tôt pour aller au marché, parce que je suis obligée», explique Mariama Touré, étudiante de 24 ans résidant à Gbessia-Port, quartier d’habitations en terre et en tôle, installées le long de rues sales situées à plusieurs kilomètres du centre de Conakry.
Face à la contestation de son pouvoir, Lansana Conté a décrété l’état de siège lundi. L’Armée a été dotée de pouvoirs étendus en matière de fouilles et d’arrestations et des militaires ont été déployés en nombre dans les rues de la capitale.
Malgré l’interdiction de rassemblement, les Guinéens bravent le couvre-feu, seulement levé entre midi et 18h00, pour aller à la recherche de nourriture sous l’œil attentif de soldats et de policiers armés.
«L’Armée tolère notre présence mais nous devons nous dépêcher de rentrer chez nous. J’ai vraiment peur des fusillades que l’on entend régulièrement. Je me presse pour rentrer chez moi», raconte Mariama.
Le déploiement de l’Armée a ramené un semblant de calme. Des fusillades continuent tout de même à éclater la nuit, les forces de sécurité ayant ordre de tirer sur les émeutiers et les pillards.
La plupart des victimes sont des civils touchés par des balles perdues.
Yari, une sœur de Mariama, a été éraflée au bras par une balle tirée lors d’un échange soudain de coups de feu mardi soir.
«J’ai été réveillée par une balle perdue à travers le toit. J’ai été blessée au bras (...) mais je n’ai pas l’argent pour payer les médicaments», déclare Yari, assise sous un manguier.
Une centaine de mètres plus loin, Alassane Barry a eu moins de chance. Il a été retrouvé mort dans son lit, victime d’une balle perdue. D’après sa famille, des militaires ont emporté son cadavre.
En raison de la grève, la plupart des banques, des bureaux, des commerces, des entreprises et des marchés restent fermés. Quelques marchands continuent à proposer de la nourriture et d’autres biens de première nécessité, pas assez toutefois pour répondre à la demande.
«Il n’y a pas assez de nourriture sur le marché, même le riz est rare», regrette Mariama.
Le gouvernement a invité les dirigeants syndicaux à négocier une sortie de crise. Ces derniers, qui refusent la nomination par Conté d’un de ses proches au poste de Premier ministre, jugent impossible de discuter dans le cadre de l’état de siège.
Cette impasse prolonge les difficultés quotidiennes des Guinéens
LE GENERAL CONTE DEVENU FOU A LIER. La Guinée transformée en camp de concentration
Rien ne va en Guinée. Dirigée depuis 1984 par un général Conté qui a étouffé toute expression démocratique, et transformée en patrimoine personnel, la Guinée est devenue une véritable poudrière où la moindre étincelle peut produire des flammes. Mieux, elle est en train d’être transformée par un régime démoniaque, qui assassine à tour de bras, en un véritable camp de concentration. En atteste le décret signé par Lansana Conté, mourant, qui instaure l’état de siège, qui autorise les exactions contre des citoyens, et dont l’objectif est d’empêcher les manifestations de rue qui appellent au départ pur et simple du président-tyran. Plus de 100 guinéens ont été tués depuis le déclenchement de ces manifestations à l’initiative des syndicats, rejoints par les partis politiques et les intellectuels. La Guinée est entrée dans une spirale de violence meurtrière qui n’a d’égale que la soif de pouvoir de l’oligarchie militaro-civile au pouvoir à Conakry.
Devant la détermination du peuple guinéen à lutter contre la corruption, les violations des droits et libertés des citoyens et la paupérisation généralisée de la population, le général Conté a décrété l’état de siège. Ce faisant, il donne à l’armée les moyens légaux de réprimer dans le sang les manifestants, et d’étouffer ainsi le mouvement démocratique.
Au terme de ce décret, la circulation des personnes, des véhicules ou des biens sur l’ensemble du territoire national est interdite de 6h à 16h et de 20h à 6h du matin. Avant d’être assouplie, passant désormais de 18 heures à 6 heures du matin. Cortèges, défilés, rassemblements et manifestations sont interdits. L’armée dispose, ainsi, de pouvoirs élargis pour assurer le rôle de police. Les répressions, depuis le début du mouvement, ont causé la mort de plus de 100 personnes à Conakry, Kindia, Zérékoré…et des symboles du pouvoir incendiés ou saccagés. Des tirs sporadiques ont, par ailleurs, été entendus à Conakry après l’entrée en vigueur de l’état de siège. Trois personnes ont été tuées à la faveur de ce décret scélérat, apprend-on. Alors qu’un accord, pour la nomination d’un premier ministre doté de pouvoirs élargis, avait été trouvé, le général verse dans la provocation à travers la nomination d’Eugène Camara, un de ses fidèles lieutenants. Il était, pendant sept ans, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique, ministre du plan jusqu’en janvier 2007, et ministre d’Etat aux Affaires présidentielles jusqu’au 9 février 2007. C’est cette nomination qui a rallumé le feu éteint le 27 janvier à la faveur des accords entre le pouvoir d’une part, les dirigeants syndicaux et de la société civile d’autre part.
Les réactions de condamnation commencent à fuser
Face à cette folie meurtrière légalisée par l’état de siège, l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) condamne les violences et la répression meur-trière exercées par les forces de l’ordre à l’encontre des populations civiles, et appelle au respect des libertés publiques, notamment d’expression et de manifestation. Aussi, l’OIF trouve l’application de l’état de siège inappropriée pour une sortie de crise durable et enjoint, en conséquence, aux autorités de s’inscrire dans la dynamique de dialogue. Le secrétaire général de l’Onu, Ban Ki-Moon, s’est dit préoccupé, le Haut commissaire des Nations unies aux droits de l’Homme, Louise Harbour, a exigé le respect des droits humains par les autorités, Louis Michel, le commissaire européen au développement a menacé de geler les fonds destinés à la Guinée, la France a encouragé le processus de dialogue, en vue de trouver un consensus politique, tandis que les Etats Unis (qui achètent la bauxite guinéenne) ont commencé à évacuer leurs ressortissants. Les participants au sommet citoyen France-Afrique (le contre sommet à celui des chefs d’Etat) tenu à Paris ont, le 12 février dernier, demandé à la France d’intervenir auprès de l’Union européenne pour que des sanctions exemplaires soient prises contre le général Conté et ses partisans, et appellent les institutions africaines à sortir de leur torpeur. Un avertissement qui a toute sa place quand on sait que Conté a fait appel à des milices libériennes et bissau-guinéennes pour aider l’armée à réprimer les droits démocratiques des guinéens. De même, Reporters sans Frontières condamne la fermeture brutale par la garde présidentielle de la radio privée FM Liberté, l’arrestation de deux employés de la station et la mise à sac de ses locaux. La communauté internationale reste extraordinairement nonchalante face à la violence d'Etat en cours dans ce pays, ce qui risque de bouleverser la géopolitique régionale, dans cette zone du fleuve Mano, déjà en proie à une insécurité sans nom.
Oumarou Keïta (avec H. Adamou)